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Portrait de créatrice : Gladys Hulot, le Tarot d’hYrtis

En tant que tarologue, je suis toujours à l’affût de nouveaux jeux, capables d’enrichir la tradition d’un regard neuf et singulier. Le Tarot d’hYrtis appartient pleinement à cette catégorie : la créatrice a réalisé un vrai travail de réappropriation, en transposant les lames du tarot dans un univers glam-rock bien à elle, mêlant tradition du Marseille et modernité du Rider-Waite.
J’ai donc eu très envie de l’interviewer pour en savoir plus sur elle, sur son rapport au tarot, sur la genèse de son propre jeu (1).

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Gladys, si tu devais te présenter en tant qu’artiste, quelle carte de ton tarot choisirais-tu comme carte de visite ?

Dans l’idéal, je choisirais Le Monde pour la sensation de bien-être liée à la félicité, au bonheur de la mission accomplie et à l’acquisition de la sagesse intérieure. Hélas, la réalité m’informe chaque jour du chemin à parcourir avant d’atteindre ce but !
Dans les meilleurs moments, j’aime être Le Magicien, la lame du commencement qui cristallise l’instant où tout est possible, même le meilleur.
Mais la plupart du temps, je me sens comme Le Pendu : désarmé, résigné, prisonnier des choix ou des décisions des autres…même s’il est aussi sage et patient.

Comment le tarot est entré dans ta vie, quel rapport as-tu avec lui, au point qu’il t’inspire pour créer ton propre jeu ?

Lorsque j’étais enfant, des amis de mes parents venaient parfois tirer les cartes et ces réunions me fascinaient. J’admirais ces amis qui semblaient posséder la clé d’un monde mystérieux. J’ai donc voulu les imiter, allant jusqu’à créer mon propre jeu, Le Tarot de la Pythie. Je me laissais porter par mon inspiration, mais je ne maîtrisais pas les bases de la création, finalement, je me suis lassée, j’ai arrêté.
Jusqu’au jour où, bien plus tard, j’ai lu un commentaire sur la ressemblance entre mes dessins et le tarot. J’avais alors enfin le bagage artistique nécessaire pour structurer et mener à bien un tel projet, j’ai voulu reprendre l’aventure où je l’avais laissée. 

"Durant ce processus créatif, j’ai eu l’impression d’être guidée par une sorte d’énergie extérieure à moi-même."

Au départ, je ne voulais proposer qu’une œuvre à exposer. Ensuite, j’ai pris conscience de mes lacunes sur le tarot, un monde que je connaissais très peu. J’ai appris à le découvrir en profondeur, tout en créant. Un vrai travail d’exploration, tant au niveau culturel que personnel.

Parlons maintenant de Calixte, le « héros » de ton tarot, que tu définis comme ton autoportrait auquel se superposeraient les traits de David Bowie. Ce choix de personnage androgyne est-il guidé par l’envie de « casser les codes » du tarot, dont les archétypes féminins/masculins sont souvent très marqués ?

Le thème de l’androgynie est très ancré en moi. Je suis plutôt féminine, mais dans l’acte de créer, je me sens totalement affranchie des genres féminin et masculin. Le tarot lui aussi est androgyne, notamment dans les cartes où il est question de puissance et d’accomplissement : Le Diable, Le Jugement, Le Monde

L’androgynie apparait sur les cartes les plus épanouissantes de l’odyssée du tarot. Comme si cette androgynie, vue comme le parfait équilibre entre deux opposés, représentait une sorte d’Idéal. Finalement, mon besoin de traiter ce thème a trouvé dans le tarot l’endroit idéal pour s’enraciner !

Comment as-tu procédé concrètement, est-ce que tu avais défini un ordre pour créer les cartes, quelles techniques picturales as-tu employées ?

J’ai décidé d’aborder ce projet comme on aborde un tirage de tarot : je piochais au hasard une carte d’un tarot de Marseille et j’étudiais sa symbolique pour la transposer dans mon propre univers. J’ai procédé comme ça pour les arcanes majeurs et pour les cartes de cour (valets, chevaliers, reines, rois). Pour le reste, j’ai traité chaque suite dans l’ordre, de l’As au dix.

J’ai mis deux ans à réaliser ce projet : un an pour créer la première version… et un an de plus pour la modifier car beaucoup de détails ne me correspondaient finalement pas !

Avant de dessiner, je rassemble, j’accumule et j’assimile des informations variées. De cette sorte de puzzle naît une composition visuelle, habitée par un personnage central. Lorsque je mets en scène un humain, je commence toujours par donner vie au regard et l’ensemble de la création semble émaner de ce point précis. Techniquement, je commence à tracer un léger crayonné avec une pointe sèche, ensuite vient la phase d’encrage puis la mise en couleurs.

C’est assez rare pour le souligner : tu es à la fois l’illustratrice des cartes mais aussi l’auteure du livre d’accompagnement. C’était une évidence pour toi, dès le début, de concevoir les deux ?

Oui, je souhaitais porter ce projet seule du début à la fin. L’écriture fait partie intégrante de mon travail depuis ma troisième année en école d’Art : soigner la présentation écrite de nos recherches constituait un passage obligé que j’ai d’abord vécu comme une contrainte mais que j’apprécie beaucoup désormais. 

Pour mon jeu, la recherche et l’écriture ont été réellement passionnantes, cela m’a permis de comprendre le tarot en profondeur et d’être confortée dans ma première intuition :

"Le tarot ne peut se limiter à la seule fonction de prédire l’avenir. Il peut aussi être abordé d’un point de vue psychologique afin de résoudre les épreuves du présent."

Après tout ce travail, est-ce que certaines cartes te parlent différemment désormais ? 

Au départ, je détestais les cartes Le Pendu et La Tour. Au moment de les créer, j’étais mal, comme si je vivais intérieurement les aspects négatifs de chacune. À présent, je les perçois avec beaucoup plus d’indulgence, je vois mieux leurs aspects positifs et leur raison d’exister. 

Avant l’arrivée du Covid, Le Pendu m’évoquait uniquement l’impuissance et la frustration. Dans cette période compliquée, ne contrôlant plus rien, je suis forcée de changer ma vision des choses. L’immobilité et la contemplation sont aussi parfois nécessaires à la créativité ! Ironie du sort : Le Pendu est mis à l’honneur à l’intérieur du coffret de mon jeu, je suis donc heureuse d’avoir fait la paix avec lui au bon moment !

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Un grand merci à hYrtis alias Gladys Hulot d’avoir répondu à mes questions avec précision et générosité. Cette artiste singulière a plus d’une corde à son arc, elle joue aussi de curieux instruments de musique, je vous invite à le découvrir sur son site : www.hyrtis.com

(1) Cette interview est un choix éditorial, dicté par ma propre découverte et mon acquisition du Tarot d’hYrtis. Les suggestions émanant d’éditeurs de jeux sont toujours précisées, le cas échéant.

Coffret Le Tarot d’hYrtis, jeu de 78 cartes+ livre de 160 pages  (32€ Editions Arcana Sacra, janvier 2021)